Interview de Christel Mouchard, l’auteure de Doña isabel – Ou la véridique et très mystérieuse histoire d’une jeune Créole perdue dans la forêt des Amazones

Christel Mouchard s’intéresse depuis plusieurs années aux voyages et aux expéditions par le biais des histoires et des destinées de grandes figures féminines. Depuis la traduction de Je suis une mal-blanchie – La vie aventureuse d’une cousine de l’Oncle Tom 1805-1881 (Les Mémoires de Mary Seacole, l’itinéraire d’une infirmière jamaïquaine héroïne de la guerre de Crimée et grande voyageuse), elle nous fait découvrir à travers ses romans des portraits de femmes hors du commun : Margaret Fountaine, Karen Blixen, Isabelle Eberhardt, etc.

Avec Doña Isabel, c’est une nouvelle aventure à laquelle est conviée le lecteur. Christel Mouchard l’emporte vers une autre histoire, dans un environnement particulier : la forêt amazonienne, à une époque où l’aventure se vit difficilement au féminin : le 18e siècle.

E-Karbé : Avec votre dernier livre Doña isabel, vous entraînez une fois de plus vos lecteurs dans une expédition à vivre au féminin, dans les traces d’une jeune Créole perdue dans la forêt des Amazones. Parlez-nous de ce nouveau roman d’aventures…
Christel Mouchard –
L’histoire se passe au Pérou, en 1769. Une femme, dame noble de l’aristocratie créole, quitte son hacienda à la tête de trente et un porteurs. Elle franchit les Andes, descend deux mille mètres de montagnes jusqu’à l’Amazone, et s’enfonce dans la forêt…
Son but est de rejoindre son mari qui se trouve à Cayenne, de l’autre côté du continent. Mais son expédition se perd et tous les voyageurs meurent les uns après les autres dans des conditions atroces.  Tous… sauf
Doña Isabel. Restée seule dans la forêt, elle marche… avant d’arriver à demi-morte dans la mission d’Andoas, dans un délai incertain (dix jours ou deux mois, selon les sources).
La question qui se pose, bien sûr, c’est comment a-t-elle pu survivre ? Son mari, Jean des Odonais a donné une réponse. Selon lui, c’est l’amour qui a sauvé
Doña Isabel. Plus précisément, l’amour que les deux époux se portaient l’un à l’autre. Tellement fort était le désir qu’elle avait de revoir Jean, qu’Isabel a triomphé de tout : la faim, la nuit, les bêtes, la pourriture…
Jean des Odonais n’a pas été le seul à donner cette raison. Toux ceux qui se sont intéressés à cette histoire, et ils ont été nombreux : ont donné la même interprétation : Dona Isabel a survécu portée par l’amour.  Le dernier en date est Bernard Giraudeau. Dans son livre
Cher amour, il raconte longuement l’histoire de la dame perdue dans la forêt des amazones ; ça lui a beaucoup plu, cette histoire une femme capable de vaincre la nature la plus hostile au monde pour retrouver l’homme qu’elle aime.
En fait, moi, je n’y crois pas du tout. J’ai lu tous ces livres, mais aucun de m’a convaincu. Pire, je ne crois pas à l’ensemble du récit qu’en a fait Jean Godin des Odonais, source principale de tous les livres sur le sujet. J’ai donc mené une enquête, pour savoir ce qui s’était réellement passé entre le moment où Isabel a quitté son hacìen en octobre 1769 et celui où elle arrivée à demi-morte au mois de février 1770 à la mission d’Andoas.

EK – Au-delà de votre intérêt pour les aventurières à travers l’histoire, qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à cette histoire ?
C. M. –
C’est en effet mon intérêt pour l’aventure au féminin qui m’a d’abord conduite vers Doña Isabel… Puis, au fil de l’enquête, autre chose m’a retenue et fascinée : le choc entre deux univers, celui de la France du XVIIIe siècle et celui de l’Amazonie intemporelle. C’est pour exprimer cette fascination que j’ai choisi pour narrateur Charles de La Condamine – c’est lui qui, dans le roman, raconte le naufrage de Doña Isabel et son incroyable survie solitaire dans la forêt. Cet homme des Lumières, raffiné et spirituel, non seulement connaît Jean et Isabel Godin des Odonais, mais il a  accompli un long voyage sur l’Amazone depuis les Andes jusqu’à Cayenne en 1742-1743. Il était le mieux à même de décrire la rencontre et les épousailles de Jean et d’Isabel, et pour s’interroger sur la vraisemblance du récit qu’elle a fait de sa survie dans la forêt. Il me sert d’enquêteur, et en même temps, il incarne cette rencontre envoûtante entre la France des Lumières et les mystères de la forêt.

EK – Quel rôle joue la « forêt des Amazones » dans ce dernier roman et dans l’histoire des deux époux jusqu’à leurs retrouvailles ?
C. M. – La forêt immense que mes héros découvrent est pour chacun d’eux, d’une manière différente, le domaine du rêve, de l’interdit, de la mort. On y rêve des Amazones et de l’or ; on brave les interdits posés par les royaumes d’Espagne et du Portugal ; et l’ on part en sachant que la moindre erreur entraînera la mort. La forêt de l’Amazone est le territoire de toutes les aventures, la descente du fleuve est un long voyage au bout de soi-même ; on arrive à Cayenne profondément changé, dépouillé de toutes ses certitudes – c’est à Cayenne que Jean passera vingt années de sa vie ; c’est là qu’Isabel le rejoint après son étrange voyage, et c’est là que La Condamine, le savant philosophe, en vient à penser, que les Amazones pourraient bien exister…

EK – Votre attachement à l’histoire des aventurières vous entraîne à travers des itinéraires de femmes très différentes. Je pense notamment à Mary Seacole, infirmière jamaïcaine et héroïne de la guerre de Crimée, ou Aphra Behn, femme de lettres anglaise qui vécut au Suriname, en passant par Margaret Fountaine, experte en papillons tropicaux. Vous évoquez leur histoire dans Elles ont conquis le monde : Les Grandes Aventurières 1850-1950. Que peuvent-elles avoir en commun et quel regard contemporain portez-vous sur leurs destinées ?
C. M. – Mary Seacole, métisse née en Jamaïque, avait été épicière avant d’être infirmière, Aphra Behn était sans doute une espionne, Margaret Fountaine était une jeune fille de la bourgeoisie… Les aventurières ont eu des vies et des passions très diverses. Doña Isabel est plus mystérieuse, parce qu’elle était d’un temps et d’un monde qui l’obligeait, elle une femme de l’aristocratie créole péruvienne, à déguiser ses rêves et ses ambitions. Mais au fond, comme les autres, elle brûlait du désir de partir, du désir d’ailleurs.

EK – Dans les différentes vies des aventurières que vous explorez et que vous nous faites découvrir, considérez-vous que l’époque (siècle d’or, esclavage, etc.) et l’environnement (Afrique, Caraïbes, Amériques, etc.) dans lesquels elles évoluent ont une incidence sur le caractère exceptionnel de leur itinéraire ?
C. M. – Contrairement à ce qu’on croit, les femmes ont toujours voyagé et il y a toujours eu des femmes qui aimaient voyager  – mes recherches sur le sujet m’ont convaincue de cette réalité. Cependant, selon l’époque et sa condition sociale, la voyageuse prenait des apparences différentes : elle était pérégrine au temps des pèlerinages, actrice ou musicienne itinérante, gouvernante tout aussi itinérante, femme d’ambassadeur ou de pionnier, commerçante… Bien sûr, les nouveaux mondes et les époques de conquête laissaient plus de place à l’aventure et aux aventurières. Les destinées étaient fulgurantes et changeantes – c’est pourquoi l’histoire de l’Amérique du Sud et des Caraïbes est si riche en aventures. Il en reste certainement d’inconnues qui restent à découvrir ; je rêve qu’il existe dans une famille de Guyane ou d’ailleurs un récit, peut-être une simple lettre, qui témoigne d’aventures vécues aussi étonnantes que celle de Doña Isabel.

EK – Enfin, pour revenir à votre actualité littéraire et à votre dernier roman, quelles seront les occasions pour vos lecteurs de vous rencontrer prochainement ?
C. M. – Je n’ai pas encore de programme bien défini, mais je mentionne mes rencontres sur mes blogs. J’y répondrai volontiers aux questions de mes lecteurs.

Sites référents : dona-isabel.blogspot.com et christelmouchard.blogspot.com

A lire :
Doña isabel – Ou la véridique et très mystérieuse histoire d’une jeune Créole perdue dans la forêt des Amazones
de Christel Mouchard, aux Éditions Rober Laffont

Autres références de l’auteure :
Elles ont conquis le Monde – Les grandes aventurières 1850-1950 [Arthaud, 2007]
Sur la route de Zimbaboué – La princesse africaine (tome 1) [Flammarion, 2006]
La prisonnière de Zanzibar – La princesse africaine (tome 2) [Flammarion, 2007]

Christel Mouchard a traduit :
Les mémoires de Mary Seacole (Je suis une mal-blanchie, Phébus, 1999)

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