Damas, le koutla filé

Dans la collection Espaces Littéraires des éditions l’Harmattan vient de paraître Léon-Gontran Damas : Une Négritude entière, un recueil de contributions dirigé par Hanétha Vété-Congolo*. Outre les différents travaux qu’elle a publiés sur l’œuvre de Léon-Gontran Damas, le Dr Hanétha Vété-Congolo enseigne aujourd’hui les littératures, les cultures et les idées d’Afrique de l’Ouest et du Centre et de la Caraïbe. En 2011, dans la continuité de ses recherches, elle lançait un appel à contributions sur les écrits de Léon-Gontran Damas, en prévision du centenaire de la naissance de l’auteur guyanais (2012). Finalement, les travaux qu’elle a réunis paraissent en ce mois de janvier 2016. Dans Léon-Gontran Damas : Une Négritude entière, des universitaires, enseignants-chercheurs, spécialistes de la littérature noire ou postcoloniale, de la poésie de la Négritude, viennent démontrer toute l’amplitude de la pensée de Léon-Gontran Damas et le souffle précurseur de sa poésie.
Hanétha Vété-Congolo a accepté de répondre aux questions d’e-Karbé et donne ici l’occasion d’appréhender sous de multiples angles certains aspects fondamentaux de l’écriture de Léon-Gontran Damas, ainsi que leurs impacts, tout en déchiffrant les raisons pour lesquelles « elle a été occultée« . Dans cette interview, l’accent est mis sur l’apport majeur, mais trop peu observé, de Léon-Gontran Damas dans la littérature. Cet échange peut être vu comme une incitation à approcher, puis à s’ancrer dans la parole poétique de Léon-Gontran Damas, via l’ouvrage dont elle parle ici longuement. Une publication dont Hanétha Vété-Congolo peut souhaiter qu’elle éveille chez les uns l’intérêt pour la poésie de Léon-Gontran Damas et provoque chez les autres un attachement plus intense à ses idées, afin de sonder le cœur de la pensée de la Négritude.

Pour expliquer le titre de l’ouvrage, vous dites en introduction que « Damas a vécu une Négritude entière en faisant concorder remarquablement sa pensée et ses actions« . Pourriez-vous nous éclairer sur ce fait marquant l’œuvre et la personne de Léon-Gontran Damas?
La Négritude est une position philosophique vis-à-vis de l’objet principal de la philosophie, c’est-à-dire, l’être humain et la situation humaine. La Négritude voit le jour parce qu’une partie de l’humanité, ici la partie nègre, est attaquée par l’explicite et acharnée tentative de lui dénier son humanité. La Négritude est l’une des dimensions de la philosophie caribéenne en ce qu’elle illustre un principe fondamental de cette philosophie exprimée par une locution directrice en créole, « tout moun sé moun ». Cette dernière locution, signifiant « toute personne humaine est une personne humaine » et que l’Haïtien Anténor Firmin articulera déjà à l’écrit dès 1885 dans De l’égalité des races humaines, met en avant les notions de justice et d’égalité comme prédicats primaires à la condition humaine. La même philosophie est retrouvée en Afrique comme, entre autres, chez les Nso du Cameroun. Fortement structuré par cette substantielle disposition principielle, Aimé Césaire la manifeste dans Cahier en affirmant que, « aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête […] ». Le travail de la Négritude s’inscrit donc puissamment dans ce paradigme d’élargissement de la perception de l’être humain et de la conquête au nom de la dignité humaine.
Damas croit en cet éthos qui promeut le respect de l’être humain en tant que tel de même qu’il croit en la non-négociation du principe de justice et d’égalité entre êtres humains. C’est la raison pour laquelle son engagement va s’effectuer selon les paramètres de la totalité et il va associer aussi hermétiquement, pensée et action. C’est aussi la raison pour laquelle son action est une application sans fioriture de la philosophie africaine-caribéenne.
L’intensité de la corrélation entre pensée et action observée au niveau de l’attitude morale de Léon-Gontran Damas est frappante. Damas ne transige pas. Il conçoit la pensée dans son sens le plus brut et total, c’est-à-dire qu’il ne lui accorde qu’une seule raison, celle de l’action. Damas est le correcteur du cogito ergo sum cartésien qui présente le fait de penser comme fin en soi, mais aussi comme début et fin de soi. Pour lui, si la pensée traduit l’être, c’est non pas parce qu’elle possède une essence passive se suffisant à elle-même pour subsumer le sujet et l’objet de l’être en soi mais parce qu’elle est initiée par une motivation praxique destinée à témoigner de l’existence active et consciente de l’être.
La Négritude est une idée, c’est-à-dire qu’elle est une conception de l’esprit pensant. Elle est une idée consistant précisément à élargir le monde des idées, et elle est aussi une idée inclusive et d’expansion de l’humanité. Devant les dogmes normatifs rationalisant la personne humaine sur la base d’une race supérieure et d’une race inférieure, la Négritude est une alternative pour la conceptionnalisation large du monde et de ses phénomènes. L’un des objectifs de la Négritude est la transformation corrective ou de redressement ; transformation des paradigmes de pensée, transformation des paradigmes de la perception et de l’aperception, transformation des paradigmes de relation intra et inter-ethniques. Cependant, pour Damas, si la Négritude est une idée, elle ne vaut que sa matérialisation et réclame l’action. Sa proposition est plutôt : « Je pense donc j’agis ». Contrairement à Descartes, ce n’est pas le doute qui mène au Soi et à la conscience de l’être mais la pensée effectivement agissante de l’être. L’important pour Damas, c’est le phénomène, c’est-à-dire, la chair factuelle de l’idée qui dit que le sujet est. L’important pour Damas, c’est autant l’intégralité que l’intégrité.
C’est la raison pour laquelle, partant de la pensée, il va, sa vie durant, tout mettre en œuvre pour corréler ses actions avec ses idées par une singulière mise en pratique des idées de la Négritude. Logiquement, les idées de la Négritude concernent en large partie – pas seulement et tout aussi logiquement – le(s) groupe(s) des Nègres, mais pour Damas, « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Il se les applique au niveau individuel et magnifie une éthique personnelle fondée dans la notion de crédibilité. Lorsque, dans le poème « BLANCHI » paru dans le recueil Pigments, Damas affirme « tout en moi/ aspire à n’être que nègre », il ne s’agit ni de pawòl an bouch ni de djendjen. La Négritude tend à la désaliénation du Nègre par lui-même. Ainsi fera Damas par le biais de l’auto-ethnographie critique. Des poèmes comme « SOLDE » ou « RÉALITÉ » également dans Pigments mais déjà publiés dans Esprit en 1934, l’articulent bien.
L’on retrouve ce même principe d’auto-ethnographie critique pour l’auto-désaliénation plus tard dans le Cahier de Césaire, notamment dans le passage où ce dernier se souvient avoir fait partie de la vieille négritude par son manque de solidarité envers l’un des siens dans un tramway. Il est entendu que pour la désaliénation, rien ne doit être celé et l’on commence par appliquer l’intransigeance au soi. C’est aussi plus tard que Fanon reprend le principe bien que l’ethnographie critique proposée par lui ne concerne pas son intime personne singulièrement mais celle de son peuple largement. Plus tard, l’on retrouvera chez Fanon également, la encore quoique d’une manière différente, deux des traits invariables composant le complexe Damas. D’une part, l’intensité haute tension et d’autre part, l’alliance insécable entre pensée et action. Damas ouvre la voie, il sert de modèle.
Son action réside aussi dans le fait qu’il a choisi en conscience et selon les termes de l’esprit d’insolence qui le caractérisait, d’être un zizitata, un fètchyé, tant il était déterminé à ne pas mettre le mot FIN à son poème et à ne laisser aucun répit à l’assaillant. Damas a fait fi des attaques venant de toutes parts continuant ses actions pour lui et répondant que, « nul incendie ne saurait rien contre/le placenta planté [sous] le bananier sacré » (« On m’écrit », Dernière escale). L’être, pour lui, c’est sa conviction vécue et il agit dans sa vie comme il pense ; libre, fort, dense, intense ; il vit ce qu’il entend être « nègre ». La fermeté et la constance de la transcription solidaire de sa vie intellectuelle dans sa vie personnelle concrète a fait peur. Sur le plan personnel toujours, Damas n’a pas forfait au courage devant les incriminations constantes de ses contemporains qui le percevaient comme un agreste « vyé nèg ». La pression qu’il a subie à l’intérieur de son groupe ethno-social était tout aussi élevée que celle subie du fait du système officiel le concevant comme un danger à la sûreté de l’État. Dans les temps de colonisation explicite où le système de violence symbolique multiforme opérait sans voilage au niveau des questions de race et de classe, Damas a refusé l’ambivalence. Beaucoup auraient voulu qu’il ait été à l’image de la dite raison hellène ou de sa représentante caribéenne locale à l’époque, la classe mulâtre socio-ethnique, un peu austère, exclusive, mondaine. Damas est un progressiste, sa vue, claire, dépasse les limites du temps présent. Sa raison est plutôt celle du razyé ordonné selon une asymétrie grandiloquente, confondante mais opérante. Son comportement était plutôt spontané, indomptable et extrêmement intense, ce qui a été conçu comme des déportements subversifs. Il fréquente certes les milieux cérémonieux mais avec un indubitable fozè fouben, toujours en état de fébricité. Il refuse les « clause(s) de style », c’est-à-dire que son action se fonde dans l’opposition cinglante directe au racisme et aux dogmes sociaux. Il écarte tout compromis, toute compromission pour privilégier la position du tac au tac, celle du talion, du pas de quartier et sus à l’assaillant. Épi Damas, pa ni chèlèlè. Une seule loi compte, celle du droit à l’auto-défense épi sé wap, wap, bim tou bannman.
Sur le plan de l’action pour le collectif, outre la voie éthique qu’il signale à tous à travers sa parole poétique, l’action de Damas peut s’observer entre autres, dans la démarche de solidarité et de guidance actives qu’il a concrètement effectuée auprès de jeunes essentiellement mais aussi auprès de nombreuses personnalités artistiques, intellectuelles ou littéraires participant à la contre-attaque au racisme et au travail pour la dignité humaine. Il a joué un rôle, il a joué son rôle et sa contribution, mise aux côtés de celles de ses alliés, a servi à raffermir l’action générale. Damas tient le rôle d’intermédiaire, de liant et de relationnant car, de manière factuelle, il met en relation des parties éloignées du tout. De Pigments à Dernière escale, il nous offre une remarquable unité de sens et de foi intègres. Jusqu’à la fin, Damas est demeuré fidèle au principe de la mise en pratique qui prouve la rectitude de l’esprit.

Toujours dans votre introduction, vous considérez qu’il serait aujourd’hui opportun d’entamer « le processus qui replacera Damas, en légitimité, au mitan de l’œuvre qu’il a contribué à élaborer« . Comment cela pourrait-il nous aider à mieux comprendre la Négritude et à modifier notre façon de l’aborder ?
Damas a été écarté de l’« en-mémoire » commune. Le respect et la reconnaissance dus lui ont été niés parce qu’avec autant de fulgurance que de constance, il a refusé de faire parisi. Parce qu’il a refusé toute forme de séduction compromettante, de ròl, de riz, parce qu’il a refusé les airs compassés attendus de ceux de la classe, du rang et du statut qu’on lui prêtait socialement, parce qu’il s’est résolument déclaré en actes à l’image active du peuple, le petit peuple opprimé, les ti nèg. Il a été occulté mémoriellement pour avoir refusé la fausse irréconciliabilité imposée des catégories admises. Il a refusé le gouffre voulu entre le peuple et le leader. Il a été occulté parce qu’il a témérairement démontré qu’on pouvait être poète et intellectuel importants, faire partie de la cour dite des grands et aussi, tout autant, être non pas seulement avec le peuple, mais comme le peuple. Damas fut sacrifié de la mémoire de la postérité à laquelle il appartient légitimement parce qu’il était le reflet de ce à quoi l’on voulait échapper, je parle là de ce côté, d’une bonne partie des nègres de l’époque. Parce qu’il a traversé les frontières établies sans billet directif ; parce que la manifestation poétique de sa pensée n’a rien de l’églogue et qu’elle est bien un couteau à deux lames et qu’elle coupe ici et qu’elle coupe là, wap, wap et fait [ap]paraître le sang, mais aussi la chair, tels quels. Ainsi aussi parce que, pour l’autre côté, il était le reflet de ce qu’il fallait écarter tant non-irénique était sa réaction face aux continues et impunies attaques racistes et tant, face au terrorisme raciste, il a appliqué strictement le principe de la tolérance zéro. Pensez donc que dans les instances officielles, encore ce jour, l’on a du mal à assumer Césaire. Le pratiquant de la politique de la terre brûlée qu’était Damas, lui-même tête brûlée, ne saurait investir les cadres admis de légitimité et de reconnaissance grandement et ouvertement officielles. D’un côté comme de l’autre de l’équation, Damas est vu comme force perturbante.
Lorsqu’il a dit dans Black Label, « Jamais le blanc ne sera nègre/car …la sagesse…l’endurance…la magie…l’amour… le rythme [sont] nègre(s) » l’on a été tout heureux d’entamer son autorité morale et surtout, d’oblitérer le fait majeur que tous ces qualificatifs avaient été catégoriquement attribués aux nègres depuis la période esclavagiste par le système raciste qui les tenaient pour dénotatifs et preuves de leur insignifiance et que, dans sa proposition alternative et élargissante, Damas les désymbolisait pour les resymboliser par le moyen d’un pied de nez inattendu voulu là connotatif et à l’avantage de ceux constituant la cible de la symbolisation raciste. Je dois rappeler que l’un des objectifs de la Négritude est la désymbolisation des préceptes insanes régissant les prismes à travers lesquels se conçoivent et sont conçus les nègres et leur resymbolisation par des termes plus structurants. Le mot « nègre » a été désymbolisé et resymbolisé selon cette perspective. Le sarcasme provocateur de Damas s’entend bien là et ainsi, il déconstruit le dénotatif absolu de la perception extrinsèque et introduit la relativité par le connotatif et le principe de l’aperception intrinsèque. Damas va amplifier cette démarche de désymbolisation-resymbolisation en y ajoutant une dimension que le système raciste ne pouvait évidemment concevoir, la beauté et la vie aussi portées par tous les types d’êtres humains y compris les nègres et ainsi, Damas rappelle que, « la beauté est nègre/[…]/la vie est nègre » aussi, c’est-à-dire que les termes de l’humanité sont confinés exclusivement dans le mode humain en soi et non relativement, dans ceux d’un groupe humain singulier. C’est là l’un des principes philosophiques de la Caraïbe déjà signalé par le penseur haïtien Anténor Firmin entre autres, et généralement assumé par « tout moun sé moun ». L’on a complètement fait abstraction du point de départ de la perspective de Damas, car en effet, Damas ne raisonne pas seulement à partir de la situation du moment mais à partir de la condition des afro-descendants depuis le tout début de leur expérience en Occident, avec l’Occident. Damas considère la temporalité totale de la situation et le fait que la nature de l’expérience n’a que très peu changé au moment où il parle. La poésie de Damas va être un grand tjip nègre démettant avec assurance et autorité le status quo. Ainsi, pour le reléguer, l’on s’est complu à occulter le fait que le discours ambiant tenu depuis au moins le quinzième siècle, les actes accomplis depuis la même époque, ancrés et perpétrés vivacement durant la période de vie de Damas, tendaient tous à démontrer de manière apodictique que « le nègre est exclusivement laid » et que « le blanc est exclusivement beau ». Ce ne sont ni Moreau de Saint Méry ni Edward Long qui disputeront cette affirmation de ce système de pensée manifestée par bien des stratégies, autant explicites qu’implicites, encore au vingtième siècle. Très lucide, extrêmement perceptif, Damas va scrupuleusement tenir compte de la situation réellement vécue, du temps de vie de la situation pour proposer une réponse défensive à prendre ou à laisser, sans condition. Par conséquent, « insoumissible » opiniâtre, empêcheur de tourner en rond, Damas a bousculé les zones de confort idéologique et politique en déplaçant, dans une non-directivité sans retenue, la géographie du beau et les paramètres de la raison avancés comme racialement normée. C’est la pression historique qui a conduit le positionnement de Damas et c’est la même pression historique qui a engendré, en très large partie, le type de réception faite à sa personne et à sa poésie. Le négationnisme est le prisme à partir duquel Damas et sa poésie furent reçus par beaucoup, de son vivant. Il a ainsi été relégué dans l’ombre de la marginalité.
Aujourd’hui, par l’étude rigoureuse et approfondie, ce que préconisait Paulette Nardal dans la démarche de positionnement juste face aux phénomènes du monde en tant qu’afro-descendants par exemple, nous pouvons changer la parallaxe, transformer l’injustice en justice, reconsidérer cet état de fait, faire surgir d’autres perspectives et replacer Damas au centre de la pensée et de l’action de la Négritude aussi légitimement que Césaire et Senghor. La mutilation n’aidera pas à comprendre avec justesse la manière, le sens et les raisons de la pensée de la Négritude, son importance dans l’histoire des idées caribéennes et l’histoire des idées du monde ; son importance dans l’avancée de la situation des afro-descendants dans le monde, au vingtième siècle. La Négritude francophone telle que cette Négritude-là de ces trois contributeurs a été proposée, offre des spécificités que l’on ne retrouve pas par exemple auprès de la Négritude exprimée par les Étatsuniens afro-descendants. Le mouvement de la Harlem Renaissance qui a influencé la Négritude dont nous parlons ici a sans doute eu en son sein de non négligeables éléments divers mais c’est d’abord un mouvement proposé par les enfants d’Africains déportés et esclavagisés sur le sol étatsunien. C’est d’abord un mouvement qui concerne la situation vécue de ce groupe dans les limites géographiques et politico-culturelles des États-Unis. La Négritude francophone transcende les espaces, les cultures, les perspectives, les ethnies. Damas est Martiniquais-Guyanais, c’est-à-dire, qu’il est américain caribéen et continental, Césaire est Martiniquais, c’est-à-dire qu’il est caribéen sans hermétique clôture ethnique, culturelle et géographique, Senghor est Africain-Sénégalais avec en lui une vastitude de cultures et de géographies. Cette diversité et ces différences psycho-culturelles, linguistiques, ethniques, historiques et géographiques accordées ont une inouïe compacité et valeur politique et épistémologique. C’est déjà là un agrandi et un élevé du monde incroyables à un moment où tant se battaient avec acharnement pour le maintenir aussi « uni » – et bien évidemment, je ne parle pas là d’unité – et « mono » que possible. Il n’y a pas qu’une mesure de la Négritude et étudier celle proposée par Damas ne peut que mettre en relief la densité et la complexité des interactions entre le général et le particulier.
L’étude de la pensée et de la poésie de Damas, tout comme celle de la pensée et de la poésie de Césaire, montre que la Négritude avait pour ainsi dire, et il ne s’agit pas d’exagération, pensé à tout. Intellectuellement et philosophiquement, mais aussi esthético-poétiquement, Damas et Césaire ont brassé très large. La maturité, la hauteur, la largesse et la largeur de l’intellection de ces deux penseurs caribéens sont saisissantes. Les pensées qui ont succédé à la Négritude en matière de conception ontologique dans la Caraïbe francophone-créolophone et en particulier dans la Caraïbe française, ne sont que des tentatives d’approfondissement du déjà existant. En somme, si nous avions eu les moyens d’étudier la Négritude critiquement, sérieusement, rigoureusement, en longitude et en latitude, notamment la Négritude caribéenne francophone-créolophone, dans ses dimensions et densités multiples, nous nous en serions rendu compte bien plus tôt. La Négritude a pensé les questions qui plus tard ont été nommées créolisation et bien plus tard encore, créolité. Césaire le magnifie indiscutablement. Mais c’est Damas qui va, en profondeur, porter ces aspects conceptionnels et là aussi, indiscutablement.
Sur le plan poétique, l’apport de Damas pour le littéraire caribéen, précisément francophone-créolophone, est considérable. La Négritude de Damas est globale dans le sens où elle embrasse ce qu’il considère être le groupe entier par delà les frontières géographiques, elle est résolument inter-nationale. Mais elle est aussi extraordinairement régionale et locale. Il a pensé autant le collectif que le singulier et la question de la culture individuante à l’intérieur du grand groupe. Cette écriture pensée d’un point de vue tenant compte des catégories micro et macro, montre l’équilibre voulu par la nuance, la justesse et la justice. Elle montre que la Négritude n’est absolument pas un fourre-tout tout diluant et assimilatif appelant à la béatitude de l’identicité exclusive et indissocialisante mais qu’elle est à l’image de l’humanité même dans le sens où des propriétés communes rassemblent irréductiblement et objectivement les membres du groupe et d’autres les nuancent subjectivement et relativement et que les deux complexes de propriétés sont importants mais aucunement mutuellement exclusifs. Damas est un nègre singularisé américain-caribéen et c’est aussi cela que dit sa poésie. Damas qui va vers l’Autre, cherche l’Autre, a soif de l’Autre, du divers, de toute la grandeur et de la hauteur de l’humanité, va offrir une Négritude profondément indigène. C’est-à-dire que sa Négritude est le reflet d’un humus caractérisé caribéen. Damas écrit en français, en créole, en créolisme et en toutes les formes intermédiaires du créolisme. La poésie de Damas accapare tout ce que le Caribéen guyanais, guadeloupéen, martiniquais – sé ta-a ka palé kréyòl-la la-a, ka santi kréyòl adan tout kò-yo la-a – voit, sent, ressent, comprend comme étant lui-même-qui-est-lui-même, souvent sans qu’il ne puisse l’expliquer, et qui porte le magique et l’impalpable du Soi, eux-mêmes ne répondant qu’à leur loi propre.
À ce propos, aujourd’hui, on peut dire que si le jazz a une place de choix en Damas et en son écriture, c’est d’abord parce qu’en lui résidait déjà un rythme frère profondément influent, le bèlè. Le bèlè est bien chez lui une source d’inspiration incontestable. Les créolophones sauront en reconnaître les caractéristiques inflexions dans la poésie de Damas. À ce titre encore, j’invite les groupes de kasékò de Guyane, de bèlè de Martinique, de gwoka de Guadeloupe, mais peut-être surtout, les pratiquants de ladja et de danmyé, car la pensée et la poésie de Damas s’y apparentent, à répondre à l’appel du poète de « danser le danser du danser » en chantant, en dansant et en incorporant dans leur répertoire de chants et de danses, le poème « Point trop n’en faut » de Dernière escale. Ce poème est une inappréciable majesté poétique honorant un principal rythme caribéen : « Ti-Balcon/Casino/Ti-Balcon-la-serre/Casino/[…]Ti-Balcon fait-tout/Casino/Ti-Balcon faitout/Casino ».

Dans ces travaux sur Léon-Gontran Damas, il est notamment question de son « ouverture d’esprit » (Städtler Katharina) et d’un « style damassien » (Konan Roger Langui). De votre côté, vous mettez notamment l’accent sur Damas et sa « soif de l’humanité« . Qu’est-ce qui fait le lien entre ces différents aspects dans sa poésie ?
L’ouverture d’esprit caractérise la personnalité de Léon-Gontran Damas. Tout comme Paulette Nardal va mettre les individus, essentiellement afro-descendants, en relation en mettant son espace privé au service d’innombrables rencontres et discussions pour l’élaboration de plans d’action pour l’auto-défense contre les attaques racistes, pour le développement de leurs communautés, en tenant une revue et en prêtant ses services de traductrice, Damas tendra la main à l’Autre. Il joue le même rôle de relieur que Nardal. Il parle anglais et peut ainsi se mouvoir dans l’espace anglophone aisément. Il est logiquement concentré sur le monde francophone mais non exclusivement puisqu’il en transcende les frontières culturelles en s’intéressant à la présence africaine et à la situation des afro-descendants dans d’autres espaces auxquels l’on ne pense pas forcément, comme l’espace européen oriental. Il est volontaire pour accueillir les Afro-Américains et Caribéens anglophones à Paris. C’est Damas qui va au-devant d’eux, les rencontre et découvre plus ou moins le premier leurs travaux, leurs préoccupations. C’est lui qui se propose comme traducteur de leurs œuvres pour ainsi les mettre à la disposition des autres et élargir par conséquent leur groupe, leur angle de réflexion, leur champ d’action. Damas est un Legba, il se tient à la croisée des chemins et met les mondes en rencontre.
Conclure que Damas a soif de l’humanité n’est qu’une suite logique de l’examen de sa pensée, de sa poésie et des faits de sa vie. Damas veut justice et ce désir motive ses pensées, ses actes, son écriture. L’exécration que ressent Damas pour l’injustice, l’apetissement de l’être humain sur une base raciale, l’exclusion des plus faibles, les poux, les gueux, est viscérale chez lui. Cette exécration de l’injustice, ce désir profond de justice et cette disposition intime pour l’Autre vont largement fonder les termes de sa pensée et de son écriture. Le style de Damas va s’appuyer lourdement sur la complexité des avoirs de son être, lui qui se sait traverser de tant de fleuves. Il les embrassera tous puisque l’Afrique est là, maîtresse régnante, l’Europe aussi comme toujours, jamais très loin, et puis bien sûr, l’Amérinde et celle-là, dans une incroyable densité qui comprend toutes les Amériques, nouvelles et anciennes, celles portées encore par son pays de naissance, la Guyane. Damas est un nègre nouveau d’Amérique, il ne peut offrir que du complexe, du divers-multiple, denses et intenses. Il n’y a qu’à lire ses œuvres pour comprendre cela.

Léon-Gontran Damas est identifié comme « un éclaireur« , Emmanuel Toh Bi Thié, lui, considère que « la pensée de Damas tend à l’universel« , et, enfin, selon Daniel Seguin-Cadiche, « la parole poétique de Damas échappe à tout cadre pré-défini« . Peut-on dire qu’il s’agit de dimensions mal connues de sa poésie ? Dans le même temps, ces travaux ne visent-ils pas à inscrire sa poésie dans la contemporanéité ?
Damas est un éclaireur car, se déclarant brut, il montre la voie à ses pairs qui en tirent du courage et comprennent mieux la voie à emprunter. Il a permis à ses camarades de pensée et de lutte de mieux discerner les éléments de la situation et de recentrer ainsi leur objectif. Alors que certains tâtonnaient encore en cette époque de grande incertitude, d’extrême pression symbolique, de réserve prudente lui, avait déjà trouvé la stratégie ; être soi sans concession. Dès les premiers poèmes, il ne concède aucune once de ce soi à la pression politique et symbolique. Oui, il ose, et pour parler à dieu en plus, à un moment où tout réclame au nègre qu’il acquiesce au système de préjugés contre lui en témoignant d’une instinctive capacité à la peur, à l’effacement, à l’obséquiosité, en prouvant par le comportement incohérent et ambigu, qu’il est atteint d’une atéliose de fait. Pensez bien que dans les années trente, en France, l’on pouvait impunément tenir des propos racistes et que les Caribéens se trouvant dans ce pays étaient systématiquement exposés à cette violence symbolique. Damas a montré une grande maturité en ne cédant pas aux attentes du système de violence symbolique et en en prenant le contre-pied dans un milieu parfaitement hostile et menaçant. Que Damas ait osé, envers et contre tout, alors qu’il ne faisait partie ni des plus forts ni des puissants, doit être reconnu.
Damas abhorre les lignes de séparation et de délimitation. Il va en effet écrire hors les cadres prédéfinis. Ce n’est ni le parnasse, ni le symbolisme ou autres courants littéraires d’influence au début du vingtième siècle qui vont dicter son mode d’écriture. Il va transposer en écriture ce dont il est spirituellement et culturellement imprégné, soit une alliance de rythmes divers et multiples, de langues démultipliées en plusieurs, une situation dans l’univers humain, une position face aux faits des affaires humaines, une identité et un esprit particuliers caractérisés caribéens. Damas n’a aucune forme d’admiration pour l’attique et la particularité distinctive de son écriture reste intrinsèquement dans ce qu’on appelle pour l’instant encore et, faute de mieux, « créole ». Lui-même fera de nombreuses références à cette particularité consciente. La constance des particularités de cette manière d’écrire fait que, poétiquement et littérairement, Damas est sans doute au début d’un style propre, singulièrement caribéen ou caribéen créolophone-francophone, un style innovant pour l’époque, dont on va retrouver quelques accents et avatars sous la plume d’écrivains lui succédant.
Senghor a théorisé son principe de la Civilisation universelle à laquelle le monde devait parvenir selon lui. Les particularités de la pensée de Damas mènent directement à comprendre qu’il aspire lui aussi a un meilleur équilibre ou à une redéfinition de l’universel alors généralement proposé par les idéologies dominantes. Pour que les valeurs communes à tous les membres du macrocosme humain tombent sous le sens humain propre, il faut que chaque microcosme humain bénéficie d’un identique et honnête respect de leurs valeurs singulières et respectives. Cette pensée est un tenant de la perspective de la Négritude que Damas partage évidemment. Une telle pensée ne peut manquer d’être contemporaine ad vitam aeternam.
Des années trente jusque dans les années soixante-dix où il disparaît, Damas s’est opposé au racisme et a dénoncé les injustices politiques, culturelles, sociales et économiques que cette théorie engendrait. Il s’est établi dans le principe de la dignité humaine, de la fraternité inter-ethnique et de la solidarité avec les marginalisés. Aujourd’hui, les événements en France comme les outrages faits à l’ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira, sur la seule base de ce qui est conçu comme sa race, ou encore le mouvement général aux États-Unis, Black Lives Matter, luttant contre les injustices raciales, physiques et symboliques, contre les afro-descendants, sont bien des indices témoignant de la validité de la Négritude aujourd’hui et, singulièrement, du travail et de la pensée de Damas.

Dans votre contribution (Sur le chemin de Guinée), vous affirmez que « La poésie de Damas se présente comme une documentation de la situation psychosociale à un moment précis de l’histoire« . Ce procédé le différencie-t-il de Césaire et Senghor ? En quoi précisément ?
La Négritude de Senghor diffère de celles des Caribéens. L’on peut dire que dans le grand groupe de la Négritude francophone, il y a une forme de Négritude africaine proposée par Senghor et une Négritude caribéenne. Au sein de cette dernière encore, se dégagent deux propositions, certes extrêmement proches, mais dont les singularités philosophiques sont magnifiées par le style. L’on retrouve la méthodologie de la documentation chez Césaire mais elle est saillante dans la poésie de Damas et en réalité, il s’agit d’un trait distinctif marquant. De Pigments à Dernière escale, Damas écrit de manière méthodique sur le plan structural. Mais le plan discursif est tout autant structuré méthodiquement. Damas est en fait redoutable dans ses pratiques et force d’écriture précises. On voit bien qu’il tient comme discours : « je suis le feu, voilà comment », « je suis le feu, et voilà pourquoi », « je suis bien le feu, voilà pour quoi ». Par cette méthodologie qui tend à rendre visible, par la preuve, l’existence de ce qu’il fustige, Damas veut soumettre le négationnisme et interdire que l’on confonde sa proposition avec un fantasme apparaissant de manière ex nihilo. Damas est didactique et son écriture est explicative. Il veut faire entendre que son comportement et ses idées sont rationnels et eupraxiques. Damas dit en somme que son feu n’a de raison que l’allumette qui le fait prendre et pour sens, que l’éradication de ladite allumette. Il veut que le regard soit porté critiquement sur la cause. Mais il veut aussi que la cause comprenne bien que son feu brûlera tant qu’elle existera. Cette notion de « feu » qui est le juste terme utilisé par Césaire pour qualifier Damas, n’est pas dénué de sens politique et symbolique lorsque l’on tient compte du fait que le feu a aussi été un recours utilisé par les ancêtres africains esclavagisés pour se défendre. Damas est inscrit dans une tradition, il le sait tout comme Césaire. Leur action n’est pas isolée de celles menées dans les temps précédents par leurs ancêtres mais est bien dans leur continuation.
Damas est un « réactif », c’est-à-dire qu’il réagit systématiquement à ce qui l’emmerde en gros caractères d’où qu’il a constamment été accusé par les siens d’être trop intense. L’on se moque de lui. On le méprise socialement car appartenant au groupe de la dite élite, il revendique sans retenue, une identité de « négraille à [lui] toute ». Damas n’écrit absolument pas dans le vide. Lorsque ses poèmes ne sont pas adressés à un Césaire ou autre frère, il répond aux accusations, il montre, il démontre et par la même, il démonte les accusations en mettant les faits bien en avant du paradigme. Il montre qu’il y a une attaque illégitime et qu’il faut d’une défense légitime. En passant, il gouaille, il ironise, il accuse, il défie, provoque, promet coup sur coup, un « grand brûlis ». Damas ne rate aucune occasion de renvoyer son coup de roche à l’envoyeur, que celui-ci soit le système officiel ou les membres de son groupe démontrant à son encontre honte et contemption. La relation entre la cause et l’effet est primordiale dans son écriture. Il ne veut pas de méprise quant à ses raisons, ses objectifs mais surtout, il veut que le lecteur comprenne la légitimité de l’extrême intensité de son feu. Car Damas en effet brûle et rase, sans répit, sans concession. Déjà, dans Pigments, mais surtout dans Black Label en particulier et encore il réitère dans Dernière escale, Damas documente les formes et manifestations de l’attaque, de la défense et de l’aliénation. Nul n’est épargné, ni le colonisateur, ni le colonisé. Il recense les exactions commises au nom de la notion de race supérieure-race inférieure, leurs conséquences morales, mentales, culturelles, symboliques, économiques, politiques et y appose et y oppose son inflexible contention. Ainsi, sa poésie se présente aussi comme une poésie de canalisation, de maîtrise et de réparation. Elle met bien en évidence le rapport de force existant à cette époque et l’une des stratégies utilisées pour y faire face.

Dans « Damas et Desnos : Franchisseurs de Lignes », Kathleen Gyssels observe avec le lien, trop peu étudié, qui unit Robert Desnos, « préfacier de la première édition de Pigments de Damas« , et Léon-Gontran Damas. Que révèle cette analyse de « la relative oblitération du couple de poètes militants qu’ont formé Léon-Gontran Damas (1912-1978) et Robert Desnos (1900-1945) » ?
Dans cet article, il est montré comment Damas est, jusqu’au bout, victime de l’esprit mondain et marginalisant. Ici est proposée une perspective supplémentaire pour tenter de comprendre les raisons qui ont pu mener à démettre Damas et pour mieux saisir ses conditions d’évolution dans le monde intellectuel et littéraire de Paris et de la Caraïbe à cette époque. Desnos est un grand poète surréaliste et préfacier de la première édition de Pigments. Pourtant, cela n’a pas aidé à instituer Damas comme la stature de Sartre ou celle de Breton ont pu sans doute jouer un rôle dans la visibilité accordée à Senghor et Césaire respectivement. En réalité, Damas a bien pu être aussi victime collatérale des querelles d’idées au sein du mouvement surréaliste, Desnos ayant été banni ou ayant quitté ledit mouvement croyant bien plus à une poésie compréhensible qu’à un automatisme alambiqué. Desnos n’est pas sans aspérité idéologique tout comme Montesquieu ou Voltaire par exemple. Cependant, la question de la discrimination peut être considérée. Le souvenir de Desnos comme membre central du surréalisme ne se présente pas spontanément à l’esprit aujourd’hui. Il a lui aussi été relégué au niveau des marginaux. En tout cas, la paire formée par le Juif et le Nègre est un autre fait des propositions de Damas honorant la fraternité et la solidarité inter-ethniques.

L’impact du jazz dans la poésie de Damas est régulièrement évoqué. Dans sa contribution titrée « L’humour et l’ironie du marron », Liliane Fardin va plus loin et fait le parallèle entre « le goût du jeu et de la musique » et sa « foi de marron« . Que pouvez-vous nous en dire ?
Le jazz et le rythme dans la poésie de Damas sont établis comme invariants. Pareillement pour l’humour, l’ironie et le marronnage. Mais tout cela est bien caractérisé épistémologiquement. Damas, qui est aussi ethnologue puisqu’il va effectuer un immense travail de collecte et d’études de contes guyanais, est imprégné de l’oralité de son espace culturel. Cela traverse sa poésie. Les jeux de l’oralité, de la langue créole, de la gouaille créole, les jé di mo, les particularités du conte ne sont pas étrangers au goût du jeu et de la turbulente espièglerie identifiés dans la poésie damassienne. C’est du jeu créole, ou « à la créole » comme le dirait Damas, qu’il s’agit.

À qui s’adresse le contenu de Léon-Gontran Damas : une Négritude entière ? Par ailleurs, selon vous, comment enseigner la poésie de Damas ?
Cet ouvrage s’adresse à tous ceux soucieux de savoir, de connaître et de comprendre quelques faits sur l’histoire intellectuelle et poétique de la Caraïbe en général et de la Caraïbe francophone-créolophone en particulier. Il s’adresse aussi à ceux souhaitant être informés de manière plus précise et juste sur la Négritude généralement et Léon-Gontran Damas particulièrement.
Il va de soi que, pour leurs valeurs idéelle, humaine, humaniste et poétique, il faut enseigner les œuvres de la Négritude dès la classe primaire. Vu leur allant entraînant, souple et alaire, les poèmes de Damas, se prêtent particulièrement à une transmission éducative dès le plus jeune âge pour tous les enfants. Généralement, les enfants s’amuseront avec Damas, ils riront, trépideront, mettront en scène avec lui, danseront et chanteront selon l’invite du rythme et de la parole chantante du poète. Tout ceci exaltera l’enfant si en plus l’on allie à la méthode d’enseignement les média d’aujourd’hui, sonores, visuels, électroniques qu’il prédilectionne. Pour les enfants créolophones en particulier, la poésie de Damas a la capacité de leur démontrer les possibilités de créations artistiques et poétiques de la langue créole et de tout cela qui est créole. Tels qu’ils se présentent, les poèmes de Damas proposent au créolophone, entre autres, la fierté vécue et non permissionnaire de la langue créole et des choses créoles. Rendons-nous compte que dès les années trente, Damas, le Nègre intégral, consacre la langue créole dans l’instance littéraire considérée la plus haute, la poésie, et dans un monde psycho-social considéré comme l’un des plus valables, le monde de l’intelligence. Il reviendra sans doute aussi au pédagogue de déterminer, par discernement judicieux, la manière la plus fructueuse de parvenir avec ses élèves à la production et la productivité à partir de la contribution et des propositions humanistes de Damas.

Notice biographique : le Dr. Hanétha Vété-Congolo est Associate Professor of Romance Languages and Literatures affiliée aux Africana Studies Program, Latin American Studies Program et Gender, Sexuality and Women Studies Program de Bowdoin College dans le Maine aux États-Unis. Elle enseigne les idées, cultures et littératures francophones d’Afrique de l’Ouest et du Centre, de la Caraïbe et de France. Sa recherche s’inscrit dans le champ de recherche du Africana Critical Theory.

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