« La complainte de la Négresse Ambroisine D’Chimbo », mise en mots par Françoise Loe Mie

Depuis des années, la mémoire collective guyanaise s’est appropriée l’histoire de D’Chimbo pour faire d’un individu accusé de plusieurs crimes, un personnage de la littérature contemporaine, un héros puis en narrer la légende. L’histoire de la vie D’Chimbo prend sa source au milieu du 19e siècle et incite à l’exploration. Aujourd’hui, c’est à Françoise Loe Mie de sonder ce passé et d’en tirer l’inspiration pour son roman La complainte de la Négresse Ambroisine D’Chimbo.

Françoise Loe Mie, au 33e salon du livre de Paris
Françoise Loe Mie, au 33e salon du livre de Paris

Dans ce troisième roman, paru chez Ibis rouge éditions, elle « intervient tout autour du procès », « lui invente une femme » et raconte le « D’Chimbo qui a existé mais qui est vu par une femme qui l’aime ».

La complainte de la Négresse Ambroisine D’Chimbo est un roman qui prend pour point de départ les vérités de l’affaire D’Chimbo. Pour mener l’intrigue, Françoise Loe Mie fait entrer dans son histoire le regard d’une femme. Une perspective différente de celle des auteurs qui avaient, avant elle, exploité ces faits, et une perception singulière qui met au centre du roman non pas D’Chimbo lui-même, mais la femme qui l’aime : Ambroisine M’Boyo. L’audace du propos de Françoise Loe Mie, à travers ce roman, ne vise pas à restaurer l’image et l’histoire de l’individu mais à aborder cette histoire et la revisiter sous l’angle du roman. De plus, à travers les sentiments d’une femme, l’auteure peut susciter de nouvelles réflexions sur ce personnage.

Françoise Loe Mie part de circonstances historiques et invite le lecteur à découvrir le D’Chimbo d’Ambroisine, un D’Chimbo qui correspond à la représentation qu’elle se fait de son mari. Le roman autorise une autre parole dont l’auteure a voulu s’emparer. Elle nous l’a expliqué lors de son passage au Salon du livre de Paris : « j’ai revisité une légende de la Guyane. D’Chimbo a vraiment existé. Il est arrivé 10 ans après l’abolition de l’esclavage, en 1858, comme Africain engagé. Comme tous les esclaves avaient délaissé les terres, ils ont fait venir des Africains, qu’on appelait les engagés, pour travailler la terre, pour travailler l’or, etc. Et D’Chimbo fait partie de ces personnes-là. Quand il est arrivé, les nègres qui étaient sur les plantations ne voulaient pas le voir parce qu’il ressemblait trop à ce qu’ils étaient avant. Ils l’ont rejeté et, du coup, n’ayant pas été accepté par des nègres comme lui-même alors qu’eux étaient esclaves et lui un homme libre, D’Chimbo a eu une réaction négative. Il a commencé à voler pour manger et il a fini par violer des femmes et tuer des gens. Je me suis basée sur les actes de son procès et j’ai pu reconstituer la vie de D’Chimbo mais j’en ai fait un roman même s’il est inspiré de faits réels. J‘ai offert une femme à D’Chimbo parce qu’il n’y a que les femmes qui peuvent comprendre les hommes. Dans ce roman, on voit qu’on a beau dire à Ambroisine que D’Chimbo est un violeur et un meurtrier, pour elle c’est le plus merveilleux des hommes qu’elle a connus dans sa vie. C’est une femme qui a connu l’esclavage et personne ne l’avait aimé autant. Malgré les preuves qu’on lui avance, son D’Chimbo ne peut pas être un meurtrier. C’est aussi pour montrer que la raison du plus fort est toujours la meilleure : alors qu’il avance des arguments, il n’est pas cru. Après, je ne suis pas là pour l’accuser ou le défendre, ce n’est pas la question, mais pour dénoncer le fait que la parole du plus fort reste la vérité même si c’est faux. »

Depuis plusieurs années, écrivains et historiens se sont intéressés au récit de vie de D’Chimbo. Ainsi, Serge Mam Lam Fouck s’est intéressé à ce personnage d’un point de vue strictement historique. Dans D’chimbo, du criminel au héros, il inventorie et observe les faits qui ont fait de D’Chimbo la figure littéraire qui habite toujours l’imaginaire guyanais. Et même si le livre de Françoise Loe Mie n’a rien d’un roman historique, il y a peut-être cette volonté de fouiller dans le même sens : « je n’ai pas la prétention d’apporter quelque chose mais je me dis que si les Européens ont leurs mythes, et bien nous aussi, nous avons nos mythes. D’Chimbo fait partie du mythe de la Guyane comme Ciparis fait partie du mythe de la Martinique. D’Chimbo me semblait tellement évident justement pour cette parole et puis aussi pour dire que, alors que nous sommes tous frères, nous rejetons celui qui nous ressemble le plus. Il faut que nous nous posions les questions. Il faut que les jeunes comprennent que nous avons nos racines et que ces racines, on ne peut que s’en approcher si on veut devenir. Nous ne pouvons pas devenir avec ce qui ne nous appartient pas. Et D’Chimbo nous appartient ». Malgré le recours à la forme romancée, dans ce qui reste un drame de la société guyanaise de ces années, l’auteure revendique l’authenticité de son personnage et affirme se distinguer des auteurs qui « ont voulu réhabiliter D’Chimbo. Mais ils ont tellement voulu le réhabiliter, qu’ils ont enlevé ce qu’il y avait de plus essentiel en lui. C’est une autre lecture de l’histoire de D’Chimbo ».

La complainte de la Négresse Ambroisine D'Chimbo
La complainte de la Négresse Ambroisine D'Chimbo

En dehors de Serge Mam Lam Fouck, qui a souhaité restituer la réalité de D’Chimbo dans son ouvrage paru en 1997, il y a eu deux autres récits inspirés de la vie de D’Chimbo et que l’histoire littéraire de la Guyane retient. Il s’agit de La nouvelle légende de D’Chimbo, d’Élie Stephenson, et de Le Nègre du Gouverneur, de Serge Patient. Dans le premier, la parole est donnée à D’Chimbo devenu criminel une fois arrivé en Guyane à travers une pièce de théâtre ; dans le second, c’est un D’Chimbo déplacé dans le temps qui se retrouve au début du 19e siècle, alors que l’esclavage est encore de mise, et qui a pour principale aspiration l’assimilation à l’univers de « l’homme blanc ». Françoise Loe Mie maintient, avec La complainte de la Négresse Ambroisine D’Chimbo, un trait qui semble caractériser son écriture, comme une sorte de turbulence que l’on croit détecter quand elle parle de son livre. D’ailleurs, interrogée sur la réalité assez crue qui paraît traverser ses ouvrages, elle révèle ce qui l’intéresse dans la littérature, « c’est vrai ! Je ne suis pas pour la contemplation. J’écris ce qui existe et je montre les travers. C’est ce qui m’intéresse dans la littérature : montrer la vie comme elle est. Je ne montre pas forcément ce qui est beau, je montre ce qui est vil chez l’individu et dans le monde… »

Le roman présenté à Paris est le quatrième livre de Françoise Loe Mie. Elle s’est notamment déjà exprimée à travers de la poésie (avec Poésie piment, girofle et cannelle), un genre vers lequel elle pourrait bientôt revenir puisqu’elle « pense à écrire un autre recueil de poèmes » dont le titre lui est déjà venu : « Le poète se meurt ». Passionnée par la poésie de Damas dont elle aime notamment « la façon de dire non », elle reste imprégnée de plusieurs influences littéraires, Maupassant, Richard Wright, etc. et plusieurs auteurs japonais, qu’elle relit actuellement.

La complainte de la Négresse Ambroisine D’Chimbo
Roman de Françoise Loe Mie
Ibis rouge éditions, 10 euros

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *