Soumis au débat public : le créole haïtien à l’épreuve du « ghetto essentialiste », par Robert Berrouët-Oriol linguiste-terminologue

Nous publions ici un article du Robert Berrouët-Oriol. Installé au Québec, ce linguiste et essayiste originaire d’Haïti est l’auteur de la première étude théorique portant sur les « écritures migrantes et métisses au Québec ». Il a également coordonné et est co-auteur de la publication de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions ».

Ainsi faite, critique des préjugés et n’oubliant pas de se prendre elle-même pour cible, l’expérience en question –précise Barthes– éveille les « résistances » du « petit nationalisme de l’intelligentsia française ». Nouvelle version du nationalisme en effet, puisqu’elle ne porte pas sur les nationalités, mais se manifeste comme un « refus de l’autre langue » : entendons, une « autre langue » qui n’est pas une autre langue nationale. « L’autre langue est celle que l’on parle d’un lieu politiquement et idéologiquement inhabitable : lieu de l’interstice, du bord, de l’écharpe, du boitement. » Une langue, pensée, manière d’être qui « traverse, chevauche, panoramise et offense ». (Julia Kristeva, linguiste et psychanalyste : « Étrangère au semblant », Paris, juin 2010)

Le créole haïtien a depuis plusieurs années des défenseurs éclairés et crédibles : des enseignants, des chercheurs, des amoureux de la langue, des écrivains, des linguistes spécialistes de la créolistique, des publicitaires, etc. Mais cette langue parlée par plus de 10 millions de locuteurs natifs est également taraudée par une coterie clairsemée de fondamentalistes1, étrangers aux sciences du langage, et dont le prêche itératif n’aboutit qu’à enfermer le créole dans un dommageable « ghetto essentialiste » –(‘’essentialiste’’ au sens princeps de ‘’toute philosophie qui affirme le primat absolu de l’essence sur l’existence’’). Les actants de ce ghetto voudraient accréditer dans le public l’idée que la légitime défense du créole est le monopole, ex cathedra, de quelques activistes attachés à une ‘’essence’’ nationale et immuable de la langue. Par-delà la vacuité du verbe prédicatif de ces fondamentalistes, il s’agit de bien prendre la mesure que le véritable enjeu du débat linguistique dont ils détournent le décours productif est, aujourd’hui en Haïti comme en diaspora, la consolidation d’une vision rassembleuse de l’aménagement concomitant des deux langues officielles du pays, le créole et le français, dans l’École, dans l’espace des relations entre l’État et les citoyens et, de manière ordonnée, dans la totalité du corps social Haïtien.

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