Traces et héritages de l’esclavage : entre esthétique et justice au musée du Quai Branly

Le musée du Quai Branly accueillera successivement les 22 et 23 mai 2025 deux autrices et historiennes : Elvan Zabunyan puis Ana Lucia Araujo, dont les recherches portent notamment sur les périodes post-abolition. Deux rencontres autour de la mémoire de l’esclavage qui sont organisées dans le cadre des « Rendez-vous du salon de lecture Jacques Kerchache » : l’une en lien avec l’histoire de l’art, l’autre consacrée à l’histoire des demandes de réparations.

Historienne de l’art, Elvan Zabunyan est l’autrice de Réunir les bouts du monde (Éd. B42, 2024). Dans cet ouvrage, elle explore les liens entre histoire de l’art et mémoire de l’esclavage. Ce livre, au cœur de la rencontre organisée au salon de lecture Jacques Kerchache du musée, est le fruit d’un travail mené pendant dix ans à partir d’œuvres littéraires, visuelles et musicales. Il vise à retracer « l’histoire de l’art qui a l’esclavage en mémoire ». Pour présenter son livre, Elvan Zabunyan explique avoir voulu « reconstituer l’histoire de l’esclavage en s’appuyant sur une réflexion inspirée de ce que Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant appelaient l’’esthétique d’un moment catastrophe' ».

L’ouvrage qui sera au centre de la prochaine rencontre se compose de cinq chapitres, dans lesquels l’autrice laisse s’exprimer les œuvres. Le premier chapitre, intitulé Récits enlacés, est suivi de quatre autres qui font référence aux éléments : l’eau pour la traversée transatlantique et ses drames, la terre pour le départ d’Afrique ou les plantations des Amériques, le feu à travers les incendies de la Révolution haïtienne de 1791, et l’air, symbolisé par le cosmos ou l’étoile du Nord suivie par les esclaves pour rejoindre l’Underground Railroad.

Réunir les bouts du monde
Réunir les bouts du monde est une rencontre avec des œuvres visuelles, littéraires, musicales et critiques, étasuniennes et caribéennes, qui portent en elles la mémoire de l’esclavage transatlantique. L’histoire de l’esclavage ne s’est pas arrêtée aux abolitions, elle s’est poursuivie par les expressions propres à la ségrégation, au racisme, aux lynchages, à la prison, aux répressions sociales, culturelles, politiques, policières des XXe et XXIe siècles dans l’ensemble des pays en ayant fait l’expérience.

En invoquant des artistes, écrivain·es et intellectuel·les qui ont fondé leur pratique sur la rupture irréversible provoquée par quatre siècles de commerce triangulaire, Elvan Zabunyan questionne ce que cette histoire continue de produire aujourd’hui. La survivance des traces mémorielles de l’esclavage et leur transmission sont un moteur fédérateur des créations artistiques, faisant du dispersement et de la fragmentation une question éminemment esthétique et poétique. Les allers-retours dans l’espace et dans le temps, ainsi que l’omniprésence d’un passé qui éclaire le présent, sont pensés par l’autrice comme des étreintes traversées d’affects, faisant de l’histoire de l’art qu’elle écrit un récit situé, sensible et engagé.

Ana Lucia Araujo, spécialiste de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage, s’intéresse également à la période post-esclavagiste avec Réparations (Éd. Seuil, 2025). Elle y revient sur l’histoire de l’esclavage et montre comment les demandes de réparations ont émergé dans les débats publics, parallèlement à l’institutionnalisation des commémorations de la traite.

Elle retrace l’histoire des revendications de réparations – sous diverses formes (financières, matérielles, symboliques…) – dans les Caraïbes et ailleurs. L’historienne, accueillie le 23 mai prochain au musée du Quai Branly, analyse les motivations qui animent ces revendications, qu’elles émanent du monde politique ou des mouvements activistes, notamment dans les Amériques et les Caraïbes.

À partir d’archives collectées en Afrique, en Europe, dans les Caraïbes (dont Cuba), en Amérique du Nord où elle enseigne, et en Amérique du Sud (notamment au Brésil, son pays d’origine), Ana Lucia Araujo propose un inventaire précis et critique. Celui-ci éclaire à la fois les questionnements historiques autour de l’esclavage et de son abolition, et les débats contemporains sur les réparations, qui continuent d’agiter les sociétés contemporaines post-esclavagistes.

Réparations. Combats pour la mémoire de l’esclavage (XVIIIe-XXIe siècle)
L’esclavage et la traite atlantique des esclaves comptent parmi les crimes contre l’humanité les plus odieux commis à l’ère moderne. Plus de 12,5 millions d’êtres humains ont été déportés d’Afrique pour nourrir le commerce du sucre, du tabac, de l’indigo ou du café, et beaucoup ont péri sur les côtes africaines ou pendant le voyage. Lorsque l’esclavage a été aboli, il avait marqué au fer rouge les corps et les sociétés, mais, à ce jour, aucune réparation n’a été versée aux anciens esclaves ou à leurs descendants. Les pays européens n’ont jamais indemnisé leurs anciennes colonies des Amériques, dont la richesse reposait sur le travail des esclaves. De même, aucune nation africaine n’a jamais obtenu la moindre forme de réparation pour la traite atlantique des esclaves.
Pourtant, des demandes de réparations n’ont eu de cesse d’être formulées depuis le XVIIIe siècle dans des pétitions, des correspondances, des pamphlets, des discours publics, des récits d’esclaves et des plaintes judiciaires… C’est cette histoire longue et difficile que retrace Ana Lucia Araujo. S’appuyant sur les voix de divers peuples qui se sont identifiés et s’identifient encore comme des victimes de la traite atlantique, ce livre met en lumière les multiples dimensions des demandes de réparations en Europe et aux Amériques.

Rencontre avec Elvan Zabunyan autour de son livre Réunir les bouts du monde
Jeudi 22 mai 2025, 18 h à 19 h 30
Salon de lecture Jacques Kerchache
Musée du quai Branly – Jacques Chirac
Réunir les bouts du monde
Elvan Zabunyan – Éd. B42, 2024
24 euros, 352 pages

Rencontre avec Ana Lucia Araujo autour de son livre Réparations
Vendredi 23 mai 2025, 17 h à 18 h 30
Salon de lecture Jacques Kerchache
Musée du quai Branly – Jacques Chirac
Réparations. Combats pour la mémoire de l’esclavage (XVIIIe-XXIe siècle)
Ana Lucia Araujo – Éd. Seuil, 2025
25 euros, 416 pages
Version numérique, 17, 99 euros

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