Au Centre culturel canadien à Paris, l’exposition Autres territoires, visible jusqu’au 19 septembre 2025, interroge les dynamiques de déplacement, d’identité et d’héritage postcolonial à travers les œuvres de cinq artistes installés au Canada : Marie-José Gustave, Michaëlle Sergile, Moridja Kitenge Banza, Emmanuel Osahor et Moses Salihou.
Loin d’un simple rassemblement thématique, l’exposition Autres territoires propose une réflexion sensible et plurielle sur l’exil, « du déplacement de territoire, et de la réappropriation par la peinture, le dessin, le tissage, à travers une figuration abstraite attentive aux mouvements intérieurs autant qu’aux migrations géographiques ». Chaque œuvre semble ici prendre la parole à partir d’un lieu double : à la fois géographique et intime.
Marie-José Gustave, originaire de Guadeloupe, et Michaëlle Sergile, qui « a déménagé d’Haïti à Pointe-Claire, au Québec », s’inscrivent dans une démarche où les formes artistiques – souvent ancrées dans des pratiques textiles, graphiques ou picturales – deviennent aussi vecteurs de mémoire. Leurs œuvres, comme celles de leurs collègues, proposent « des créations tournées vers des opacités multiples et cherchant à s’abstraire de poids historiques et contemporains – impacts directs ou différés du colonialisme, du déplacement, de l’intégration, et de la complexité quotidienne des enjeux culturels. »
Sous le commissariat de Joséphine Denis (Black Artists Networks in Dialogue) et de Catherine Bédard (Centre culturel canadien), l’exposition ne cherche pas à définir une identité figée, mais bien à rendre visibles des trajectoires, des tensions, les histoires et des territoires. Elle ouvre ainsi « un espace où s’établissent des échanges féconds entre des artistes aux parcours variés », invitant le spectateur à envisager l’exil non comme une perte, mais comme un lieu de réinvention et de création.
Marie-José Gustave « réinvente les formes circulaires traditionnelles de la vannerie »
Chez Marie-José Gustave, installée depuis plus de 20 ans au Canada, la matière n’est jamais neutre : elle porte en elle les traces d’un parcours, d’identités multiples et de mémoires vécues. Sa pratique, nourrie à la fois par ses origines caribéennes et par un apprentissage artisanal acquis dans un village danois, s’inspire de techniques de vannerie qu’elle détourne avec une liberté singulière. Originaire de la Guadeloupe, ayant vécu en France puis au Québec, l’artiste compose des formes où se nouent les tensions du déplacement et les richesses de la traversée. Ses œuvres évoquent des paysages mentaux dans lesquels s’entrelacent fragments de souvenirs, sensations enfouies et strates d’histoire personnelle.
Marie-José Gustave explique encore que : « le déplacement est mon héritage. En tant que caribéenne, mes origines sont multiples : amérindiennes, européennes, africaines, asiatiques. La recherche de compréhension de mon identité plurielle est la base de mon travail artistique. Dans cette recherche, je m’attache à des pratiques artisanales que l’on retrouve sur tous les continents ».
Michaëlle Sergile s’intéresse à la « réécriture de l’histoire par le tissage »
Pour Michaëlle Sergile « tisser est un acte de mémoire : chaque entrelacs de chaîne et de trame réactive les récits et les voix de la diaspora noire, tout particulièrement ceux des femmes dont les histoires ont trop longtemps été reléguées à l’ombre ». Celle qui s’intéresse à la « réécriture de l’histoire par le tissage » s’appuie notamment sur des textes et des ouvrages postcoloniaux, qu’elle explore pour nourrir sa réflexion et faire naître « les motifs récurrents de son œuvre » qui de fait, « parlent de créolisation, de tissages sociaux et de récits diasporiques intimement entremêlés. »
Le travail de Michaëlle Sergile se déploie à l’intersection de la mémoire, du langage et du geste. Initiée au métier à tisser Jacquard durant ses études à l’Université Concordia, elle en a fait un véritable outil de recherche visuelle et historique. À travers un jeu étudié de trames et de codes, elle sait faire émerger des images et des voix venus d’archives oubliées – en anglais, en français, en créole haïtien.
Ses œuvres textiles imposent leur présence, comme des surfaces de projection et de résistance. Elles convoquent des récits effacés, donnent corps à des mémoires invisibles, et invitent à reconsidérer les silences de l’histoire. Dans ce travail minutieux, le tissu devient autant un langage qu’un lieu, se transforme en un espace de transmission, d’énonciation et de réparation. Et Michaëlle Sergile remet en lumière des héritages négligés, en particulier ceux liés aux femmes et à la diaspora haïtienne, affirmant un regard engagé et profondément ancré dans le présent.
Autres territoires est une exposition où la matière devient langage et mémoire, invitant à découvrir des œuvres à la fois puissantes et nuancées, qui tissent un espace de réflexion et de réparation, où le geste artistique se fait acte poétique et profondément humain.
Autres territoires / Other territories
Moridja Kitenge Banza, Marie-José Gustave, Emmanuel Osahor, Moses Salihou, Michaelle Sergile
Jusqu’au 19 septembre 2025
Centre culturel canadien
130 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris